Ruth Ozeki
« J’ai toujours considéré l’écriture comme l’inverse du suicide. Qu’écrire, c’était comme devenir immortel. Défier la mort, ou en tout cas la devancer. »
C’est d’abord la couverture qui m’a attirée dans ce roman, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, cela faisait un moment que je n’avais pu lu, longtemps que je n’avais pas lu une histoire prenant place dans la réalité et non dans un monde parallèle et fantastique. J’ai ouvert les premières pages et voici ce que j’ai pu lire :
» Hello ! Je m’appelle Nao, et je suis un être-temps. Vous savez ce qu’est un être-temps ? Non ? Eh bien, si vous avez un moment, je vais vous le dire. Un être temps, c’est quelqu’un comme vous et moi, comme chacun de nous qui est, a été ou sera un jour. Quelqu’un qui vit dans le temps. Moi par exemple, je suis en ce moment à Akihabara Electric Town, dans un maid café français. J’écoute une chanson triste, une chanson que vous avez déjà entendue par le passé, qui est également mon présent, où j’écris ces mots, où je m’interroge sur vous qui faites partie de mon futur. Et si vous lisez ces lignes, peut-être que vous aussi vous vous posez des questions sur moi… ».
Intriguée, j’étais.
Le style m’a tout de suite étonnée, m’évoquant celui d’un journal intime. J’ai ainsi découvert ce style littéraire japonais baptisé « I-Novel« , récit à la première personne incorporant des éléments auto-biographique, mais pas que… Très vite, il y a eu autre chose, un jeu incroyable entre l’auteur (ou l’auteur du journal intime), « son personnage » et un lecteur fictif auquel on ne peut manquer de s’identifier. Je pourrais sans doute appeler cela de la métafiction, tant l’auteur va jouer avec les codes de la littérature…
Dans ce roman, on rencontre deux personnalités très différentes, l’une est Nao, dont le journal est arrivé par le hasard des marées, à la suite du tsunami ayant frappé le Japon, sur une plage du Canada – ramassé par Ruth ,avec quelques autres objets personnels, précieusement rangés dans une boite à Bento. Cette ado déracinée au parlé franc, désarmante et parfois bouleversante qui raconte sa vie mais aussi celle de son aïeule, une nonne zen centenaire. Elle s’adresse à son lecteur, celui qui a travers le temps lira son journal (qu’il s’agisse de Ruth, ou de nous-même), elle se questionne sur le sens de la vie, de l’Histoire et du Temps.
« Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n’eût peut-être pas vu en soi-même. La reconnaissance en soi-même, par le lecteur, de ce que dit le livre, est la preuve de la vérité de celui-ci. «— Marcel Proust, Le Temps retrouvé
Petite Biographie de l’auteur
Ruth Ozeki est née et a grandi à New Haven dans le Connecticut d’un père américain et d’une mère japonaise. Après avoir fait des études anglaises et asiatiques au Smith College, elle part au Japon où elle étudie la littérature classique japonaise à l’université de Nara. Elle apprend le théâtre Nô, la composition florale, la sculpture de masques, fonde une école de langues et enseigne au département d’anglais à la Kyoto Sangyo University. En 1985, elle revient à New York et entame une carrière cinématographique en tant que directeur artistique. Elle se tourne vers la production télévisuelle et dirige des programmes documentaires pour une entreprise japonaise. En 1994 sort son premier film Body of Correspondence qui a remporté le New Visions Award au Festival du Film de San Francisco. Halving the Bones (1995), film autobiographique, a été projeté au Festival du film de Sundance, au Montreal World Film Festival et au Margaret Mead Film Festival. Les films de Ruth Ozeki sont projetés dans les universités, les musées et lors de manifestations artistiques. Ses deux premiers romans Mon épouse américaine (My Year of Meats, 1998) et All Over Creation (2003) ont reçu de nombreuses récompenses. L’écrivaine donne fréquemment des conférences dans les collèges et les universités et partage son temps entre New York, où elle fait partie du comité de rédaction de l’Asian American Literary Review, de Hedgebrook, et de la Colombie Britannique où elle réside. Elle pratique le bouddhisme zen, est l’éditeur du site Everyday Zen, et a été ordonnée prêtre Zen Soto en 2010. En 2013, elle publie son nouveau roman En même temps, toute la terre et tout le ciel (A Tale for the Time Being ).
— Babelio