La Belle et la Bête de Jean Cocteau


Regarder - La Caverne aux Miroirs / mardi, mai 28th, 2013
 

En France, au temps jadis des contes, un marchand, veuf, dont les affaires n’étaient pas très florissantes, et pour ainsi dire au bord de la faillite, vivaient avec ses trois filles et son fils – ainsi que l’ami de celui-ci à vrai dire. Les deux sœurs aînées  Adélaïde et Félicie, d’horribles petites pestes imbues de leur personne, se font servir par leur cadette, Belle, comme par une servante.

 

Quant aux deux garçons, deux bons à rien. Le fils de la maisonnée ne fait que jouer et se couvrir de dettes et son ami Avenant, qui est amoureux de Belle, n’est pas plus travailleur. Parti à la ville pour tenter d’arranger ces affaires avec le retour d’un de ses bateaux de marchandise que l’on croyait perdu, le père s’égare sur le chemin du retour dans les profondeurs d’une vaste forêt.

 

Il y découvre un vaste palais enchanté et surtout désert…

 

                            La belle et la bête de Jean CocteauAvant d’en repartir, il voit un rosier et se remémorant la promesse faite à sa fille Belle de lui ramener une rose, il en cueille une. Soudain apparaît le maître de lieu,  une bête vêtue en homme, qui furieuse le condamne à mort, sauf si l’une de ses filles consent à prendre sa place. De retour chez lui, le père raconte sa mésaventure à ses enfants. Belle est décidée à prendre sa place et à honorer la promesse faite au monstre. Devant le refus de tout le monde (sauf des sœurs), elle part en cachette sur le Magnifique, l’étalon blanc magique prêté par la Bête. Elle y est à son grand étonnement somptueusement accueillie, par une bête mi-sauvage, mi-civilisée, qui lui témoigne le plus grand respect et aussi le désir ardent de l’épouser.

La belle et la bête de Jean Cocteau Chaque soir à 19h, il lui pose la même question, et chaque soir la Belle refuse. Voyant dans le miroir que son père est mourant elle supplie la bête de la laisser aller le retrouver… elle en tombe même malade. La Bête fini par se laisser fléchir. La bête lui laisse une semaine avant de revenir…et en gage de sa confiance, lui dévoile tous ses pouvoirs et ses plus grands secrets : celui du gant magique, qui transporte où l’on veut, et surtout celui de son trésor, caché dans un pavillon dans le parc et qui ne peut s’ouvrir qu’avec une clef d’or qu’il lui donne aussitôt.

 

Un film de Jean Cocteau

Ce film de Cocteau est le premier du genre, il est le premier à faire entrer le spectateur dans un monde imaginaire, il utilise pour se faire de nombreuses trouvailles et beaucoup d’ingéniosité. Car ce film est fait avec très peu de moyen à cause de la fin de la guerre… Il a été tourné en grande partie dans des décors très simples et épurés, ce qui leur donne vie, c’est l’utilisation de la lumière et du clair obscur. La narration et le fantastique repose parfois complètement sur ces jeux savants de l’ombre et de la lumière. Au début du film, la différence entre le monde réel et le monde imaginaire du château de la bête est marqué par ces lumières changeantes, comme des écrans que doit passer le père pour pénétrer dans un univers plus lumineux et bien plus étrange.

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Plusieurs plans sont tournés en contre-plongée, afin de sans doute renforcer le coté dominant, inquiétant du domaine et de son maître. Si je dis plus haut que la narration repose parfois essentiellement sur la lumière c’est qu’il y a peu de dialogues, bien sûr cela vient du fait que les deux protagonistes se voient peu. Le reste de la journée Belle se promène, seule, dans l’étrange demeure. Mais c’est la bête qui est l’incarnation même d’une solitude violente, contradictoire puisque à la fois volontaire (il a honte de son animalité) et involontaire (il est rejeté à cause de son physique). Il se traîne, par tristesse commet des crimes, ce qui est visible puisqu’à chaque fois ses mains voir son corps entier dégage une âpre fumée.

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Tout le film repose sur ces deux pôles, la Belle qui est l’image de l’innocence, de la beauté de l’âme alors que la bête incarne ainsi que les autres personnages, la part bestiale et horrible de l’âme humaine. Ce n’est sans doute pas anodin que dans la dernière scène deux personnages échangent leur visage. La Bête avoue à la Belle que l’amour peut faire d’un homme une bête mais aussi le rendre beau. C’est ce qui est illustré en parallèle lorsque Avenant profane le petit pavillon de Diane et meurt d’une flèche de celle-ci, il prend instantanément le visage d’une bête. Par désespoir d’amour, par jalousie il est tombé de son statut d’homme sensé, alors que la Bête grâce à l’amour de Belle est devenue un Prince. Cela est aussi montré par le miroir (qui montre l’une de sœurs sous les traits d’une guenon) mais également par le comportement de ces deux femmes qui ressemblent à s’y méprendre à ce qui les entoure : une basse cour, surtout quand elles piaillent dans tous les sens des « Petits Laquais ! »…

Le montage sec est utilisé plusieurs fois, à vrai dire Cocteau ne s’embarrasse pas de savoir si oui ou non deux plans coïncident niveau lumière ou emplacement des objets et personnage. Ce qui donne parfois une impression étrange, comme par exemple dans la scène où Belle donne à boire à la bête au creux de ses mains, son visage est éclairé très intensément, alors qu’elle se trouve prêt des arbres. Cela ne dérange pas, au contraire, puisque l’endroit semble à voir une vie à part (candélabre à main humaine, cariatides…), il change en permanence, ainsi que la lumière soit différente d’un plan à l’autre paraît presque naturel. La bête dit elle-même que sa nuit n’est pas celle de son monde (celui de Belle).

L’utilisation de la lumière, les éclairages surexposés et les clair-obscurs évoquent tantôt la peinture de George de La Tour mais également l’esthétisme et les ambiances des gravures du grand illustrateur français, Gustave Doré.

Parmi quelques exemples :

L’arrivée du père au palais de la Bête par les bois évoquent à la fois une scène de l’Idylle d’un roi et la gravure de la même scène représentée par Doré. L’escalier évoque également celui de Peau-d’âne.

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La chambre de la Belle est tapissée de mousse et de végétaux qui entourent un lit à baldaquin en voile rappelant le lit de la Belle au bois dormant.

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Doré est présent dans l’essence même du film… comme si ils avaient essayé de retranscrire une gravure en image cinématographique, en effet  il n’y a pas de flou ou de fondu dans la Belle et la Bête (qui était très en vogue dans les films fantastiques à l’époque).  Cocteau n’en voulait pas parce que pour lui ce type de procédé était synonyme d’imaginaire dans l’inconscient collectif, il voulait en créer un nouveau.

Si Gustave Doré domine l’imaginaire du film, c’est les peintres flamands qui inspirent le monde réel : Johannes Vermeer, Frans Hals et Rembrandt. Les rues de la cité rappelle La ronde de nuit de Rembrandt, le banquet du père et de ses amis marchands évoquent bien d’autres tableaux… L’ambiance de la petite propriété familiale rappelle les intérieurs des maisons du XVIème siècle.

Les costumes semblent tout droit sorti des tableaux,  les chapeaux des différents personnages sont très reconnaissables (chapeaux noirs, chaperon, etc.)  ainsi que les différentes collerettes. Le costume de servante de Belle rappelle  La jeune fille à la perle de Vermeer…

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Comme signalé au début, le choix d’un esthétisme épuré tout en ombre et lumière n’est pas né uniquement d’une volonté artistique du réalisateur mais des raisons économiques. Ce film a été tourné à la fin de la guerre 40-45 dans des combles avec fort peu de moyens:  des toiles noires tendues, de l’encens, quelques postiches et des figurants que l’on retrouve aussi bien sous forme de chandeliers qu’en marchands.  Comme le film noir américain à la même période, cet esthétisme pure et léché où seul quelques détails sont mis en valeurs et où les gros plans sont légions est né dans des conditions peu favorables, malgré tout l’ingéniosité et l’imagination des créateurs a permis de faire naître cette magie et ce mystère…

 

 

Liens pour continuer la réflexion

Jean Cocteau, lecteur de Gustave Doré : des illustrations des Contes de Perrault par Doré à la Belle et la Bête de Cocteau

Dossier pédagogique : déclinaison

Exposition Gustave Doré

2 réponses à « La Belle et la Bête de Jean Cocteau »

  1. […] Gustave Doré n’a pas, à proprement parlé « illustré » le conte. Par contre il a réalisé les illustrations des Contes de Perrault. Ce qu’a fait Doré, et qui a une extraordinaire pérennité, c’est de participer à la création d’un univers visuel propre aux contes européens. Un monde qui se situe dans une période temporel propre au récit, dont les costumes alternes entre les époques du Bas Moyen-Age et du XVIIème siècle de l’Europe du Nord. Comme Cocteau, en 1946, s’est inspiré grandement des ambiances en clair-obscur de Doré, Doré a finalement façonné ma façon d’imaginer la Belle et la Bête. […]

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